mardi 19 avril 2011

Un gamin habitué à piloter sa Mercedes à 300 km/h sur le Nurburgring n’a aucune raison de rêver à la conduite d’une Clio diesel sur le périphérique

Et si le jeu vidéo était l’avenir de l’automobile ? La sortie de Gran Turismo 5 à Noël sera un événement planétaire, digne d’un blockbuster hollywoodien, comme la suite très attendue de Tron des studios Walt Disney. Cette simulation de conduite automobile est l’un des plus gros   « best-sellers » du jeu vidéo et la cinquième version est attendue comme le messie par des millions de fans.
Amateur ou non du genre, on ne peut être que bluffé par le réalisme des voitures, les conditions d’utilisation qui recréent la réalité dans le moindre détail, du décor exact des villes traversées aux conditions météos locales, en passant par le type de bitume des circuits empruntés. Les joueurs peuvent choisir parmi des centaines de voitures existantes, de route ou de course, anciennes ou modernes, configurer leurs propres réglages (type de pneu, tarage de suspension…), choisir leurs circuits et accéder à des modèles plus puissants en fonction de leurs résultats. Le niveau de reproduction est tel que plusieurs pilotes de course ont confessé s’entraîner sur Gran Turismo pour améliorer leurs réflexes ! Face à un tel phénomène, il est légitime de penser que Gran Turismo est le meilleur ambassadeur des intérêts de l’industrie automobile. Ce n’est pourtant pas si évident.
Plusieurs études ont mis en lumière qu’une majorité de jeunes adultes « accros » aux jeux n’avait pas leur permis et encore moins l’intention de le passer. Interrogée sur le sujet, la fameuse No Car génération trouve la voiture trop… ennuyeuse. Et pour cause, un gamin habitué à piloter sa Mercedes à 300 km/h sur le Nurburgring n’a aucune raison de rêver à la conduite d’une Clio diesel sur le périphérique. Autrement dit, plus le virtuel est sensationnel, plus le décalage entre fantasme et réalité est patent. Désorientés par cet état de fait, certains constructeurs ont bien conscience qu’ils doivent intégrer cette « culture du jeu vidéo », mais ils ne savent pas comment l’importer concrètement dans une voiture et en faire un avantage concurrentiel.
À ce jeu-là, General Motors a peut-être une longueur d’avance grâce à Feng Zhu, un petit génie de la conception de jeu vidéo. À peine sorti de l’adolescence, ce jeune designer d’origine chinoise s’est fait un nom à Hollywood en créant certains univers graphiques de Stars Wars III et de Transformers. Auréolé de son succès, il a monté Feng Zhu Design et ouvert plusieurs bureaux dans le monde, notamment en Chine pour concevoir des jeux, mais également des pubs, des jouets et aussi conseiller l’industrie du cinéma. En 2009, il s’est payé le luxe d’ouvrir à Singapour une école de formation au design vidéo. Consultant extérieur pour General Motors à l’Exposition universelle de Shanghai, il a livré un point de vue tout à fait innovant sur l’avenir de la mobilité. Si la voiture de demain veut avoir une chance d’intéresser les jeunes générations, elle doit selon lui s’inspirer des règles marketing du jeu vidéo, règles qu’il a lui-même édictées.
Première d’entre elles, l’épreuve. Tous les jeux sont basés sur des épreuves à réussir pour accéder à un niveau supérieur. Feng Zhu propose qu’en fonction de l’utilisation de sa voiture, le conducteur passe des épreuves pour se différencier. Par exemple, s’il atteint un certain nombre de kilomètres, s’il va dans un lieu ou une ville en particulier, s’il fait réellement du 4X4 avec son 4X4, s’il respecte une moyenne établie… lui et sa voiture montent de niveau. Ce qui lui permet d’accéder à la deuxième règle d’or du jeu vidéo, la récompense.
Tous les jeux offrent aux joueurs des avantages à chaque passage de palier (nouvelles armes, meilleures résistances…). Concrètement pour l’automobile, le conducteur pourrait télécharger des options virtuelles : un nouveau design du tableau de bord, un software pour changer la lumière d’ambiance, des options sonores ou visuelles. Au fur et à mesure de son avancée, le conducteur se concocte une voiture qui n’appartient qu’à lui.
Troisième règle à respecter, la mise en réseau. Le conducteur de demain devra pouvoir échanger et partager son expérience. Pour cela, Feng Zhu recommande de monter des minis caméras extérieures et intérieures pour filmer sa vie à bord, la publier sur YouTube et (pourquoi pas) créer des concours des meilleures scènes de vie en voiture, façon Vidéo Gag ou Nouvelle Star.
Enfin, dernière règle, l’individualisation à outrance. S’inspirant du succès du tuning et aux sommes astronomiques qui y sont investies pour personnaliser une « caisse », notre docteur en science du jeu vidéo préconise de donner accès à certaines options payantes uniquement en fonction du niveau atteint. Un volant en plexiglas transparent, des jantes au dessin unique, des rétroviseurs laqués… oui, mais seulement si vous le méritez et si vous le payez cher !
L’objectif assumé est de se faire repérer par son voisin, ces options étant exclusivement réservées aux bons conducteurs/joueurs. Ce qui peut être considéré comme du « voyeurisme » pour nous autres européens est un atout chez les jeunes asiatiques très sensibles aux signes extérieurs de consommation. Après tout, on exhibe bien des Nike à 200 €. Si, à ce stade, les propositions de Fen Zhu sont théoriques, elles ont le mérite d’instaurer une toute nouvelle relation entre l’automobile et l’automobiliste. Par ailleurs, leurs coûts de développement sont raisonnables, comparés à des investissements industriels lourds. Interrogé sur les chances de voir ces préceptes mis en œuvre, Ed Welburn, vice-président du design General Motors et grand manitou de la stratégie, n’a pas souhaité répondre, précisant qu’à ce stade, révéler des informations supplémentaires sur le sujet serait donner un avantage à la concurrence. Autant dire que GM bosse le sujet à fond, conscient qu’un nouvel horizon est en train d’apparaître. Pour les sceptiques, sachez qu’entre-temps McLaren a annoncé équiper sa nouvelle GT d’une caméra embarquée pour filmer ses exploits à son bord. Comme quoi, les bonnes idées circulent à la vitesse de la lumière. La révolution virtuelle est en route.

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